Les plantes et l’eau

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Ce site web :  Les plantes et l’eau présente des connaissances classiquement abordées d’une part en physiologie végétale et en écophysiologie, d’autre part en agronomie, pour tout ce qui a trait aux relations de dépendance de la production végétale à l’eau, mais aussi à l’incidence de cette production sur la ressource en eau.

Ce site a pour objectif principal de fournir les « outils » et concepts fondamentaux ainsi que les connaissances les plus marquantes. Il se veut avant tout un guide pour explorer et se repérer dans ce domaine très étendu. Il s’adresse tout à la fois au lecteur grand public et au spécialiste. Certains chapitres s’ouvrent par un résumé qui en présente rapidement le contenu.

La forêt et l’eau dans le monde.

Dans le monde, la répartition des forêts est calquée sur la carte des précipitations ; ici est indiqué le total des précipitations annuelles en mm (1). On peut voir en particulier que la zone intertropicale, arrosée de plus de 1000 mm/an est très riche en forêts : Amazonie, Afrique ouest centrale, Asie du sud-est. A l’inverse les grandes zones désertiques, qui reçoivent moins de 200 mm/an, comme le Sahara, le sud de l’Asie, la Mongolie ou Australie, sont dépourvues de forêts. Toutefois certaines régions du monde pourtant suffisamment arrosées, telles l’ouest de l’Europe, une partie des USA, de la Chine, portent peu de forêts sous l’effet du développement de l’agriculture.

Enfin, l’extension de la forêt, comme celle des autres types de végétations, est aussi limitée par les basses températures : c’est le cas par exemple des parties nord du Canada et de la Sibérie.

(1) 1 mm = 1 litre d’eau par m2 de sol

L’eau est le seul élément qu’on trouve naturellement sur terre dans ses 3 états : solide, liquide et vapeur. L’eau est en mouvement sur le globe terrestre, selon un cycle perpétuel.

Ce cycle est animé par deux ensembles de phénomènes majeurs :

– les changements d’état de l’eau : la vaporisation, en lien avec la température, donc le rayonnement solaire ; la condensation lorsqu’il y a refroidissement, en altitude notamment dans les nuages ;

– la gravité qui provoque les écoulements, le vent qui déplace les masses d’air humides, les nuages en particulier.

Revenons au cas de la forêt. Si on s’intéresse aux échanges d’eau entre la forêt et son environnement proche, on parle du bilan hydrique. Etablir un bilan hydrique c’est faire comme pour un bilan financier : sur une certaine durée (jour, mois, année…), la différence entre les entrées d’argent et les dépenses, est égale à la variation de trésorerie. Concernant le bilan hydrique, pour une parcelle de forêt, les principaux apports d’eau sont les précipitations. Le sol constitue la réserve d’eau qu’utilisent les arbres, son maximum de stockage est appelé réserve utile. Les sorties d’eau sont multiples : les pertes par drainage, ruissellement et écoulements pour l’eau sous forme liquide, transpiration des feuilles, évaporation de l’eau de pluie à la surface des feuilles (le phénomène d’interception), évaporation à la surface du sol. Lorsque les apports d’eau sont supérieurs aux pertes, le sol se recharge, et dans le cas contraire il se dessèche. Dans la suite de cette présentation, nous détaillerons tous ces phénomènes.

Un des mouvements d’eau les plus importants pour les surfaces végétales, la forêt en particulier, est la transpiration.

La transpiration et la photosynthèse sont deux processus vitaux pour les végétaux supérieurs. Par la photosynthèse, les arbres, en utilisant la lumière comme source d’énergie, élaborent leur nourriture à partir du dioxyde de carbone (CO2) contenu dans l’atmosphère, de l’eau et des éléments minéraux du sol. La transpiration permet ainsi d’alimenter les feuilles, où se produit la photosynthèse, en eau et en éléments minéraux. La plus grande partie de cette eau est évaporée, ce qui permet en périodes chaudes d’assurer le refroidissement des feuilles.

Pour les végétaux, l’eau est ainsi au centre de leurs processus vitaux. Par la photosynthèse les végétaux fabriquent des sucres, de l’amidon et du bois, chez les arbres, constitué lui-même de cellulose et de lignine.

Dans le processus de transpiration, contrairement à certaines idées reçues, ce ne sont pas les racines qui poussent l’eau vers les feuilles. C’est bien le contraire : sous l’effet combiné du rayonnement solaire, du vent, et ceci d’autant plus que l’air est sec, l’eau s’évapore au niveau des feuilles. Cette évaporation a lieu au niveau des stomates, qui sont une multitude de minuscules ouvertures, situées sur la face inférieure des feuilles. Ce mécanisme provoque une aspiration d’eau intense qui se transmet via les nervures des feuilles, et en cascade par la multitude des vaisseaux des branches, du tronc et des racines. Ainsi, les racines se trouvent dans un état de dépression, permettant l’aspiration de l’eau du sol.

On peut construire un schéma simplifié du processus de transpiration : une fine lame d’eau s’évapore sur une surface (la feuille) connectée à des fins capillaires (les vaisseaux de la sève) allant jusqu’aux particules qui composent le sol. L’eau est aspirée dans ces capillaires et c’est à leur extrémité inférieure (dans les racines fines) que se produit l’aspiration de l’eau du sol. Tant que le sol est suffisamment humide, il s’établit ainsi un mouvement d’eau, c’est la transpiration. L’eau qui circule dans le végétal est appelée la sève brute ; elle contient certains éléments minéraux solubles provenant du sol. Mais si le sol devient trop sec, les racines ne sont plus en mesure d’extraire l’eau du sol. Dans ces conditions, les tensions dans les vaisseaux deviennent de plus en plus fortes et à un certain niveau de tension, il y a rupture des colonnes d’eau : c’est la cavitation, suivie rapidement par l’embolie, un état où les vaisseaux se retrouvent remplis d’air, rendant impossible la circulation de la sève brute. Lors des très fortes sécheresses, on peut voir en été des arbres dont les feuilles ont jauni ou roussi. Certains arbres peuvent ainsi mourir de dessèchement.

La sève brute circule donc dans la plupart des organes vivants d’un arbre. Dans le tronc, la zone de circulation a souvent la forme d’un anneau de plus ou moins grande épaisseur, qu’on peut voir sur les troncs ou les grosses branches coupés par les bûcherons, notamment chez le chêne : c’est le bois d’aubier. Le bois de cœur, qui constitue la partie centrale du tronc, est une zone morte, qui prend souvent une teinte plus sombre que celle du bois d’aubier. Plus à l’extérieur du bois d’aubier, se trouvent d’autres tissus, essentiels pour la vie de l’arbre : 1) le cambium, responsable de la croissance en diamètre, puis 2) le liber (dont le terme scientifique est le phloème), qui permet la distribution des éléments nutritifs générés par la photosynthèse des feuilles vers tous les organes vivants de l’arbre et enfin 3) l’ écorce, qui assure la protection du bois contre les agressions du milieu extérieur.

Sur certaines espèces comme le hêtre, le peuplier, le frêne, le bois d’aubier ne peut être distingué du bois de cœur, tous deux ayant la même couleur pâle. Les chercheurs utilisent alors, pour les visualiser, des colorants, injectés à la base du tronc, qui sont transportés vers le haut dans la sève brute et qui colorent le bois d’aubier.

L’observation du bois d’aubier à un fort grossissement fait apparaître un tissu complexe, poreux, constitué d’une multitude de petits éléments en forme de tuyaux dans lesquels circule la sève brute.

On distingue trois grands types de bois selon l’organisation et la dimension de ces éléments : 1) les conifères, dont le bois est très régulier, avec des éléments conducteurs de petit diamètre qui s’appellent les trachéides ; 2) les espèces à pores diffus dont les éléments conduisant la sève brute sont les vaisseaux du bois. Ces vaisseaux sont de plus gros diamètre que les trachéides des conifères et sont bien répartis dans tout le bois. Ils sont entourés d’éléments plus fins ; 3) les espèces à zone poreuse, qui montrent une structure complexe, avec de très gros vaisseaux, souvent alignés sur la circonférence, visibles à l’œil nu chez certaines espèces (le chêne par exemple). Dans ces espèces, il existe aussi des vaisseaux de plus petit diamètre et tout un ensemble d’autres éléments.

Dans le bilan hydrique d’une forêt, l’interception des précipitations, surtout des pluies, constitue un flux d’eau qui repart du couvert végétal sous forme de vapeur d’eau vers l’atmosphère. Cette eau est donc perdue pour le peuplement forestier.

L’interception correspond à l’eau qui est stockée sur les feuilles et les branches pendant une pluie, eau qui est rapidement évaporée, sans pénétrer dans la feuille. Cette évaporation peut d’ailleurs même intervenir pendant la pluie, car l’air n’est pas toujours saturé en humidité. De plus, le vent accélère cette évaporation.

L’évaluation de l’interception est relativement simple. On l’obtient en faisant la différence entre la quantité de pluie qui tombe sur la forêt, et celle qui atteint la surface du sol. La pluie incidente est en général mesurée à proximité, souvent dans une clairière. Sur certains sites, un pluviomètre est installé sur un pylône qui dépasse la hauteur des arbres. La pluie qui atteint le sol est mesurée avec un nombre important de pluviomètres disposés au sol dans la forêt. Mais, une partie de l’eau de pluie s’écoule aussi vers le sol le long des troncs : des dispositifs spécifiques en spirale sont placés autour du tronc des arbres réalisent cette mesure.

Les quantités d’eau perdues par interception sont le plus souvent très importantes, comme le montrent ces mesures réalisées en France dans des forêts de différentes espèces. Annuellement, entre 20 et 40% de l’eau est interceptée, avec des variations entre les espèces considérées. En effet, l’interception des pluies est en général plus importante pour les forêts de conifères que pour les forêts décidues (hêtre, chêne, frêne par exemple), en particulier parce que ces dernières sont dépourvues de feuilles une partie de l’année.

Les arbres utilisent l’eau du réservoir constitué par le sol pour assurer leur transpiration. Une des questions souvent posées à la recherche est : « quelle quantité d’eau transpire un arbre ou un hectare de forêt ? »

Tout d’abord, il y a plusieurs méthodes pour mesurer la transpiration des arbres. Une des plus utilisées est la mesure du débit de sève brute qui circule dans le tronc. En effet, toute l’eau de la transpiration passe dans cette partie de l’arbre. Des capteurs de mesure spécifiques et non traumatisants pour l’arbre permettent de réaliser ces mesures. Ici le capteur est constitué de deux petites sondes insérées dans le bois d’aubier d’un jeune charme en forêt. Ce capteur mesure la dissipation de la chaleur apportée par une petite résistance chauffante contenue dans une des deux sondes, cette dissipation de chaleur étant directement sous l’influence du débit de la sève. En recherche, ce type de mesure est souvent réalisé sur une population d’arbres représentatifs du peuplement étudié.

Dans cette expérience, des mesures de débit (ou flux) de sève brute ont été effectuées sur 4 jeunes hêtres dans une forêt située en Moselle lors de deux journées successives en été. Le flux de sève ne circule que la journée et il est nul la nuit. On voit que les 4 courbes sont parallèles mais qu’il existe des différences entre arbres. Certains d’entre eux transpirent plus que d’autres, ici jusqu’à 4 litres par heure. Ce sont les individus les plus gros, les plus hauts et ils ont plus de feuilles. Globalement, ces courbes de variation suivent très bien le rayonnement solaire mesuré dans un poste météorologique situé à proximité de cette forêt. Le creux important que l’on peut observer lors de la deuxième journée est due à une grosse averse orageuse qui fait chuter brusquement le flux de sève, car les feuilles se retrouvent rapidement totalement mouillées, ce qui stoppe la transpiration de tous les arbres. Après évaporation rapide de l’eau, au bout d’une à deux heures, le flux de sève reprend jusqu’au coucher du soleil.

– lors de la vie d’une forêt, la transpiration augmente au début pour atteindre un plateau au bout de 15 à 30 ans, ce qui est jeune par rapport à l’âge final, souvent proche de 100 ans, voire plus.

– pour une belle journée d’été sous un climat tempéré, ce plateau de transpiration est d’environ 4 mm/jour, soit 40 m3 d’eau par hectare.

– au début de ce cycle de vie de la forêt, les arbres sont petits mais très nombreux dans la parcelle, plusieurs milliers par hectare. Progressivement, leur nombre diminue sous l’effet de la mortalité naturelle, ou des éclaircies réalisées par le forestier, pour chuter à 100-200 par hectare.

Mais il faut savoir que la transpiration pour une surface donnée ne change pas. Ainsi, plus les arbres vieillissent, moins ils sont nombreux, et ils transpirent plus. Cette transpiration peut atteindre jusqu’à 250 litres d’eau par jour parfois plus. Des chercheurs ont estimé à plus de 1000 litres la transpiration journalière de très gros sapins de Douglas dans le nord-ouest américain.

Nous allons maintenant comparer la transpiration des forêts avec celle d’autres types de végétation.

Donc, la couverture végétale influence fortement le cycle de l’eau. En conséquence, tout changement d’utilisation des terres, par exemple la colonisation par la forêt des espaces agricoles délaissés, ou le retournement des prairies pour les remplacer par des cultures telles le maïs, ou la diminution de surface de bocages et de haies, se traduira par des modifications du cycle de l’eau, notamment le drainage, ressource en eau qui profite à d’autres activités humaines, comme les besoins des ménages, les activités industrielles ou récréatives. En France métropolitaine, de tels changements d’usage des sols se déroulent depuis des siècles. En particulier,  la surface forestière a très fortement augmenté en deux siècles, modifiant profondément l’hydrologie de certaines régions, souvent en moyenne montagne.

Ces statistiques montrent les évolutions récentes de la couverture du sol sur seulement 10 années en France métropolitaine. On voit l’augmentation de surface des forêt, celle du bâti, et la diminution des prairies.

Lorsqu’on s’intéresse aux interactions entre les forêts et l’eau, la sécheresse est un facteur de toute première importance. Les forêts n’étant pas irriguées, contrairement aux cultures, elles sont directement affectées par les sécheresses.

Les sécheresses ainsi que dans une moindre mesure les excès d’eau prolongés, affaiblissent les arbres et peuvent provoquer leur mort. Cet affaiblissement ouvre la porte à tout un cortège de pathogènes et d’agresseurs, tels les maladies fongiques ou les insectes.

Ce graphique représente la gravité des sécheresses en Lorraine, lors de ces dernières décennies. On constate une grande variation d’une année sur l’autre. La majorité des années (le bandeau vert) ne sont pas ou sont seulement faiblement sèches. Mais sur cette durée (le bandeau rouge), on voit que 4 années se distinguent nettement des autres par l’intensité de leur sécheresse, ce sont les années 1976, 1983, 1992 et 2003.

L’année 2003 reste ainsi dans les mémoires comme une des années les plus sèches depuis un siècle en France, cette année-là étant de plus exceptionnellement chaude pendant les mois de juillet et d’août.

On peut voir sur ces statistiques d’inventaires en forêt le pic de mortalité de l’année 2004 : les arbres les plus atteints par la sécheresse de 2003 n’étant en effet déclarés morts que l’année suivante. On voit aussi que les résineux ont été plus touchés que les feuillus, probablement parce qu’ils avaient épuisé plus rapidement les réserves en eau de leurs sols.

Il est difficile d’être optimiste pour l’avenir. En effet, les modèles climatiques prévoient un accroissement progressif de la durée et de l’intensité des sécheresses dans une grande partie de l’Europe. Les questions qui se posent donc aux forestiers sont à la fois de trouver ou de favoriser les espèces qui seront les mieux adaptées à un climat plus aride, et d’adapter au mieux, comme le fera l’agriculteur, leurs pratiques de gestion.

Références

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