Aujourd’hui, un Grand Sage nous a quitté, j’ai perdu un ami et c’est le coeur lourd que je prends mon crayon pour écrire ces quelques lignes pour rendre hommage à son travail si précieux qu’il nous laisse en héritage et aussi à l’homme qu’il était.
En tant qu’agronome au CIRAD, sa carrière a débuté en Afrique puis rapidement au Brésil avec son collègue et compère Serge Bouzinac à St Louis dans le Maranhão au Nord du Brésil puis dans le sud Paraná et Rio Grande do Sul pour limiter l’érosion des sols en labour, il semait le maïs et le soja directement sur le labour pour garder un maximum de porosité, il s’était vite rendu compte que ce n’était pas la solution.
Avec les agriculteurs brésiliens qui avaient conscience d’aller à la faillite avec l’érosion des sols causée par les fortes pluies, en quelques années, il a trouvé la solution : ne plus travailler le sol pour toujours produire soja, maïs, blé, viande et lait sans laisser un désert derrière eux sous 1 500 à 2 500mm de pluie.
C’est en 1995, en Touraine, que nous avons commencé le semis direct sans travail du sol avec notre conseiller agricole de la chambre d’agriculture Philippe Lion et avec Claude Bourguignon qui nous a expliqué et montré au microscope que le sol était vivant !
A chaque formation Claude B. nous parlait du Brésil. C’est alors qu’en janvier 1998, je lui ai demandé le contact de Lucien au Brésil. Dès le 1er contact téléphonique, il m’a demandé « qu’avez-vous les français à vous intéresser au travail que je fais au Brésil, il y en a qui sont passés me voir et qui n’ont rien compris et rien fait en France ? ». Après quelques explications, sur ce que nous mettions en place dans nos fermes, nous avons entamé un échange riche et passionnant. C’est lors de ce premier contact que j’ai compris que c’était un homme exceptionnel que l’on ne rencontre qu’une seule fois dans vie. Son cerveau était une véritable encyclopédie des plantes de toute la planète, il avait une mémoire, un savoir énorme …
En juillet de la même année, nous sommes allés chez lui à Angoisse en Dordogne avec Jacques Fortin, où nous avons passé une journée mémorable. Puis, il est venu à Montlouis pour faire un état des lieux avec son collègue Hubert Charpentier et Claude Bourguignon, ce fut là aussi une journée mémorable. A cette occasion, nous avons décidé de lui rendre visite au Brésil en décembre 1998 avec 8 agriculteurs et pour certains leurs épouses pendant 12 jours. Il avait tout organisé sur place avec un vol interne du Paraná au Mato Grasso, plusieurs visites d’exploitations et le plus important : la visite de la plate-forme d’essais à Sinop et de comparaison sur 250ha avec des conditions climatiques encore plus difficiles (3 000mm / an pendant 8 mois et 4 mois de saison sèche). C’est grâce à ce séjour que nous avons compris l’importance des couverts végétaux pour accompagner le semis direct et la rotation des cultures.
D’autres voyages suivirent sur les sites où Lucien faisait du conseil à ses collègues à Madagascar, avec Hubert Charpentier et Olivier Husson, au Laos, au Cambodge, au Vietnam, Afrique du Sud, Cameroun, et la Tunisie où j’ai alors travaillé pour lui durant 5 ans.
Il nous certifiait que c’était le seul système agricole qui pouvait sauver la planète en reconstituant la biodiversité du sol ainsi que sa fertilité et ainsi nourrir la population mondiale dont le nombre ne cesse de grandir. Il disait « pour une fois que l’homme peut se nourrir sans dégrader et épuiser les sols et par conséquent la planète tout en les régénérant grâce à la biodiversité (les champignons, microbes, bactéries …) »
C’était un homme avec un fort caractère, à la fois souple et dur, parfois difficile. Il ne s’éternisait pas avec les personnes qui ne le comprenait pas et c’est pour cela qu’il n’était pas toujours apprécié de ses collègues chercheurs.
Lucien, c’était aussi un chercheur infatigable. Il pouvait travailler 16h par jour, faire des périples avec ses collègues pour être sur le terrain avec eux quelques soient les conditions (saison des pluies, pistes exécrables …), il s’adaptait à toutes les situations.
Il avait une passion débordante pour son métier. Il disait toujours qu’il ne connaissait qu’une petite partie du génie végétale, que la nature pouvait nous donner : en travaillant avec elle, elle travaillerait pour nous, pour aider les agriculteurs en protégeant la planète, à condition que les agriculteurs le comprennent mais aussi tous les acteurs du monde agricole. Et alors même que nous, humains, n’avons fait que de détruire la planète depuis 2 000 ans, avec une accélération depuis ces 70 dernières années par un excès de mécanisation en travaillant le sol et par un excès de chimie. Il convient aussi de saluer Serge, qui a perdu lui aussi son ami, et qui a travaillé avec lui en binôme pendant toute sa carrière et qui assurait la continuité des recherches au Brésil pendant que Lucien rendait visite à ses collègues à l’étranger afin de suivre sur place les recherches mises en place avec eux.
Depuis un an, Lucien luttait de toutes ses forces contre la maladie avec des souffrances que nul ne mérite et qui l’ont démuni jusqu’à la fin, mais il ne se plaignait pas, et restait agréable avec son entourage proche.
Mais surtout, il laisse derrière lui son épouse, Jacqueline, qui l’a accompagné pendant toute sa carrière dans tous les pays où il a travaillé et plus durement dans cette dernière année avec le soutien de leur fille, Sandrine, dans cette difficile fin de vie.
Lucien a laissé un historique de rapports de recherches en agroécologie à destination du monde agricole, des instituts et des politiques qui seront utiles.
Merci Lucien.
Jean-Claude Quillet
Agriculteur en semis-direct