En préalable , on a souvent observer en SCV que le phénomène de l’allélopathie au champ ne fonctionnait correctement qu’à la faveur de pluies d’une certaine importance, c’est certainement ces mouvements d’eau dans les premiers centimètres du sol qui favorisent les échanges de toxines anti-germinative …..En période sèche, ce phénomène est beaucoup moins observable.
https://agritrop.cirad.fr/390382/1/document_390382.pdf
Qu’est-ce qu’une plante allélopathique ?
Une plante allélopathique a la particularité de produire des composés biochimiques qui vont entrainer des interactions biochimiques sur les plantes voisines ou avec des micro-organismes, inhibant leur croissance, empêchant la reproduction d’insectes ou bloquant la germination notamment.
Dès l’antiquité, les hommes ont décrit le comportement de certaines plantes ayant la capacité de freiner la croissance d’autres végétaux. Le terme d’ »allélopathie » fut utilisé pour la première fois en 1937 pour décrire le phénomène de concurrence entre végétaux. Il provient du grec ‘allêlon’ signifiant « réciproque » et ‘pathos’ signifiant « souffrance » : il désigne l’ensemble des interactions chimiques d’une espèce végétale sur les autres.
L’allélopathie, c’est la propriété qu’ont certaines plantes d’émettre des molécules chimiques qui affectent la germination et/ou la croissance des mauvaises herbes. Les effets antigerminatifs sont inoffensifs sur les grosses semences (céréales, soya, etc.) et les transplants, mais affecteront la germination des cultures dont les semences sont plus petites. En utilisant des plantes allélopathiques comme culture de couverture, on peut diminuer la pression des mauvaises herbes tout en récoltant les bénéfices de garder son sol couvert. L’usage de plantes allélopathiques comme intercalaires est aussi possible, mais il importe de s’assurer qu’elles n’auront pas un effet négatif sur la culture. Les avantages ne s’arrêtent pas là, on peut rouler la plante allélopathique comme le seigle pour former ensuite un paillis végétal. La biofumigation est une technique similaire, elle implique d’incorporer dans le sol des crucifères dont la décomposition produira des molécules affectant les maladies du sol et les mauvaises herbes.
Parmi les cultures pouvant être utilisées pour leur allélopathie, on compte surtout le seigle, mais aussi la fétuque élevée, le blé, le pâturin des prés, le sorgho et le radis fourrager.
L’origine du mot vient du grec allelo pour « l’un l’autre » ou « dommage mutuel » et pathos faisant référence à la « souffrance ». Toutefois, les effets ne sont pas toujours dommageables, ils peuvent aussi être bénéfiques, on parle alors respectivement d’allélopathie négative ou positive.
Les composés dits allélochimiques sont à l’origine de l’interaction, ils sont libérés par la plante dans son milieu, par différents canaux : les racines qui exsudent, ou encore les parties aériennes à l’origine de lixiviation et de volatilisation ou même la décomposition de la plante morte.
Dès lors, on comprend mieux l’effet inhibiteur d’une plante allélopathique sur la germination et le développement des adventices, ce qui fait d’elle une alternative aux désherbants intéressante pour limiter les corvées de désherbage et empêcher le recours aux herbicides chimiques.
En permettant de réduire le stock semencier ainsi qu’en agissant sur certains ravageurs et certaines maladies, l’allélopathie contribuerait à réduire les usages de produits phytosanitaires (herbicides, insecticides et fongicides) et leur transfert vers l’air. De plus, par rapport à un sol nu, l’implantation de plantes de services en interculture permet de limiter le phénomène d’acidification des sols s’il la culture est restituée au sol. Elle aura un effet alcalisant.
Par rapport à un sol nu, l’implantation d’un couvert végétal, qu’il ait un effet allélopathique ou non, permet de piéger l’azote et le phosphore. De plus, celui-ci peut éventuellement fixer l’azote atmosphérique s’il contient des légumineuses, et rendre le phosphore disponible à la culture suivante ce qui permettra de limiter les apports en engrais. L’effet allélopathique permettant de réguler la flore adventice ainsi que les attaques de ravageurs, permettrait de réduire l’usage de pesticides et donc permet d’améliorer la qualité de l’eau.
L’azote capté par le couvert pendant son développement est restitué progressivement après sa destruction. Une partie sera directement disponible pour la culture suivante. Le couvert permet aussi d’améliorer la disponibilité en phosphore et en potasse pour la culture suivante (remobilisation des éléments).
Cette technique favorise l’activité biologique du sol, permet d’améliorer les teneurs en matière organique, de stocker du carbone et fixer de l’azote dans le sol, favorisant ainsi sa fertilité.
Cette méthode limite les fuites de nitrates, l’érosion, la battance et l’altération de la structure du sol.
La présence du couvert favorise certaines espèces en leur fournissant refuge et nourriture (insectes auxiliaires, pollinisateurs, macro et microfaune du sol, oiseaux, etc.). Cet effet est variable selon la nature du couvert, par exemple s’il s’agit d’une espèce nectarifère ou pas.
https://www6.inrae.fr/ciag/content/download/6304/46330/file/Vol62-3-Gfeller.pdf
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41
Les Cultures intermédiaires allélopathiques: un moyen de lutte contre les
adventices ?
Gfeller A. 1 , Wirth J. 1
Agroscope, Systèmes de production plantes, Malherbologie grandes cultures et viticulture, 50 Route
de Duillier, CH-1260 Nyon 1
1
Correspondance : judith.wirth@agroscope.admin.ch
Résumé
Les cultures intermédiaires allélopathiques soulèvent un grand intérêt chez les agriculteurs en tant que
technique de désherbage écologique. L’impact de l’allélopathie par les cultures intermédiaires au
champ est méconnu. Toutefois, nos résultats suggèrent que l’allélopathie est un facteur à considérer. A
contrario des idées reçues, le développement d’une biomasse aérienne importante, créant un fort
ombrage, n’est pas toujours le facteur principal de suppression des adventices. En effet, l’inhibition de
la croissance de l’amarante par le sarrasin, le radis fourrager et la moutarde brune est la même avec un
fort ou un faible ombrage du couvert, suggérant que les exsudats racinaires jouent un rôle important.
Notre approche expérimentale combine des essais au champ et une approche métabolomique.
Mots-clés : Cultures intermédiaires, Suppression des adventices, Allélopathie, Sarrasin, Radis
fourrager, Moutarde brune
- La maîtrise des adventices par les cultures intermédiaires
Les cultures intermédiaires (CI) apportent beaucoup de bénéfices, dont la maîtrise des adventices. La
réduction des adventices par les CI peut être expliquée par l’action de différents facteurs : i. compétition
pour la lumière, l’eau, l’espace et les nutriments (Bezuidenhout et al., 2012 ; Kunz et al., 2016). ii. la
libération des substances allélopathiques. Les substances allélopathiques peuvent être libérées : - par les couverts vivants pendant l’interculture et/ou
- par les résidus libérés dans la culture suivante suite à la destruction de la CI (par le gel,
mécaniquement, par un herbicide) (Farooq et al., 2011 ; Kunz et al., 2016).
Notre approche consiste à comprendre comment certaines CI suppriment les adventices pendant
l’interculture et si l’allélopathie joue un rôle important dans la maîtrise des adventices par des CI au
champ.A. Gfeller et J. Wirth - L’allélopathie, c’est quoi ?
L’allélopathie est définie comme tout effet direct ou indirect, positif ou négatif, d’une plante sur une
autre, par le biais de composés biochimiques libérés dans l’environnement (Rice, 1984). Un des
exemples classique, qui d’ailleurs avait déjà été observé par Pline l’ancien au premier siècle avant J.C.,
est l’action inhibitrice qu’exerce le noyer sur différentes plantes herbacées ou ligneuses. Lorsque les
feuilles et tiges de noyer sont lessivées par la pluie, la juglone, un allélochimique très toxique, est
libérée et inhibe la germination des graines avoisinantes.
Figure 1: Voies possibles pour la libération des allélochimiques dans l’environnement par une plante donneur
selon Kobayashi (2004).
Ainsi l’effet de l’allélopathie est le plus souvent décrit comme un effet inhibiteur de la germination ou
croissance exercé par une plante (donneur) sur une autre plante (receveur). Les substances
allélochimiques sont en général des métabolites végétaux secondaires et appartiennent à plusieurs
familles chimiques comme des dérivés benzéniques (p. ex. sorgoleone du sorgho), des phénoliques
(p.ex. acide vanillique), des acides hydroxamiques (p.ex. DIMBOA du seigle) ou des terpenes (Latif et
al., 2016 ; Massalha et al., 2017). Ils sont libérés par volatilisation, lessivage, lixiviation, décomposition
des résidus ou exsudation racinaires (Figure 1).
Pour mettre en évidence le phénomène d’allélopathie, la plupart des essais sont effectués en
laboratoire ou en serre en conditions contrôlées. De nombreuses études utilisent des méthodes
d’extraction à l’eau ou à l’éthanol des parties aériennes et/ou des racines pour des tests de germination
avec des graines de cresson ou de laitue par exemple (Kalinova et Vrchotova, 2009). En conditions
naturelles, l’étude est plus complexe car les interactions biotiques et abiotiques du sol peuvent
influencer la présence des composés allélopathiques. De plus, de nombreux facteurs, comme les
conditions environnementales ou l’état phytosanitaire de la plante, influencent la synthèse et la
libération de ces molécules (Figure 2). La grande difficulté est de séparer la compétition pour les
ressources des effets allélopathiques, car l’allélopathie dans le champ est subtile et il est compliqué de
la distinguer de la compétition (Duke, 2015). En général des allélochimiques sont des molécules
phytotoxiques, qui exercent leurs effets à des quantités faibles, mais constantes ou des
concentrations croissantes sur des longues périodes (Duke, 2015). L’effet allélopathique peut être dû à
un composé allélochimique ou à un mélange de molécules. Une fois libérés dans le sol, les propriétés
34
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41Les CIMS allélopathiques: un moyen de lutte contre les adventices
physiques, chimiques et biologiques des allélochimiques changent (Latif et al., 2016). En plus, les
composés peuvent être transformés et dégradés par les microbes du sol (Massalha et al., 2017). Pour
la pratique agricole ceci indique que l’effet allélopathique d’une CI ne sera très probablement jamais
aussi fiable qu’un herbicide.
Figure 2 : Induction de la production
des allélochimiques par des facteurs
biotique et abiotique selon De
Albuquerque et al. (2011). - Des cultures « allélopathiques »
3.1 Grandes cultures
Chez plusieurs grandes cultures, des effets allélopathiques sont connus (Jabran et al., 2015). Quelques
allélochimiques responsables pour les effets observés ont été identifiés comme les momilactones A et B
chez le riz, le DIMBOA chez le seigle et le blé, la sorgoleone chez le sorgho et des composés
phénoliques chez le tournesol. Pour toutes ces cultures les effets allélopathiques sont très variables
selon le cultivar (Jabran et al., 2015). Un cultivar allélopathique qui supprime bien les adventices doit
également produire des bons rendements et ne pas avoir d’impact négatif sur la culture suivante. En
effet, la production d’allélochimiques peut générer des phénomènes d’autotoxicité, comme chez l’orge
(Bouhaouel et al., 2015). La sélection d’un cultivar allélopathique est donc un long processus et
demande beaucoup de travail. Actuellement le premier et seul cultivar allélopathique commercialisé est
le cultivar de riz Haugan-3 en Chine (Jabran et al., 2015 ; Kong et al., 2011).
3.2 Cultures intermédiaires
Contrairement aux grandes cultures mentionnées ci-dessus les connaissances sur les effets
allélopathiques des CI sont beaucoup plus faibles pour plusieurs raisons.
3.2.1 Métabolome
Dans l’état actuel des connaissances, la nature des molécules n’est pas toujours connue, ce qui
implique la nécessité d’une approche métabolomique très large et donc coûteuse et compliquée.
3.2.2 Génome
Une connaissance plus approfondie du génome des CI permettrait pour la recherche fondamentale de
mieux comprendre les gènes et mécanismes impliqués dans l’allélopathie et profiterait ultérieurement à
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41
35A. Gfeller et J. Wirth
la recherche agronomique appliquée. Chez le blé, des locus qui sont liés à des traits allélopathiques ont
été identifiés (Zuo et al., 2012).
3.2.3 Cultivars
De nombreux CI, comme la phacélie, existent encore en tant que population et souvent, le nom du
cultivar n’est pas connu lorsque l’on achète les semences d’une CI dans le commerce Suisse. Nous
avons été surpris de remarquer des différences marquées de phénotypes entre des lots de sarrasin soi-
disant de la même variété. Nous pensons que le travail de sélection et distribution des CI est donc très
en retard par rapport à celui réalisé sur les cultures principales comme le blé.
De plus les cultivars d’une même CI sont rarement comparés pour leur effet sur le contrôle des
adventices. La plupart des études scientifiques qui étudient le potentiel allélopathique des CI travaille
avec un seul cultivar. Nous pouvons citer pour exemple les études réalisées sur le radis fourrager.
Nous, ainsi que Lawley et al. (2012), avons travaillé avec Raphanus sativus var. longipinnatus, tandis
que Kunz et al. (2016) ont travaillé avec Raphanus sativus var. niger. Est-ce que ces résultats peuvent
être comparés? Autant de différences entre les cultivars des CI par rapport à leurs effets allélopathiques
sont susceptibles d’exister qu’entre les cultivars des grandes cultures. Bertholdsson (2004) a montré
que les cultivars d’orge apparus les 100 dernières années au Danemark et en Finlande ont perdu de
leur activité allélopathique, suggérant une dilution des gènes contribuant au potentiel allélopathique par
les techniques de sélection. La sélection de cultures intermédiaires allélopathiques offre l’avantage de
pouvoir s’affranchir de la nécessité de sélectionner ces variétés aussi pour leur rendement. Toutefois
les traits liés aux autres services rendus par les CI devraient si possibles être conservés.
Des nombreuses CI sont décrits comme allélopathiques dans les articles de vulgarisation et sur
internet, comme par exemple sur les pages d’Agro-PEPS :
http://agropeps.clermont.cemagref.fr/mw/index.php/Implanter_des_cultures_interm%C3%A9diaires_%C
3%A0_effet_all%C3%A9lopathique_ou_biocide,_biofumigation
Pourtant, les sources ne sont pas citées et lorsque la recherche est approfondie, ces informations
relèvent plus d’une appréciation que d’une base scientifique. Peu d’études montrent l’effet inhibiteur de
différents CI sur la croissance des adventices dans des expériences au champ et en laboratoire (Jabran
et al., 2015 ; Kunz et al., 2016). À notre connaissance l’effet allélopathique exercé par les CI vivantes
pendant l’interculture au champ n’a pas encore été prouvé. Notre expérience et nos connaissances
bibliographiques indiquent que les CI qui montrent un bon potentiel allélopathique sont des céréales,
des brassicacées et le sarrasin, toutefois nous ne sommes pas exhaustifs dans cette liste. Le pouvoir
allélopathique des légumineuses est difficile à prouver par le fait qu’elle apporte des avantages
compétitifs aux plantes voisines via la fixation de l’azote qui masquerait l’effet allélopathique, s’il en
existe un chez les légumineuses. - Notre projet de recherche
Le but de nos essais est de comprendre pourquoi certaines CI vivantes contrôlent bien les adventices
et si l’allélopathie joue un rôle important au champ, c’est-à-dire si la suppression des adventices est
liée à la libération d’allélochimiques dans le sol. Pour cela nous avons mis au point un système
permettant de séparer les différents facteurs de concurrence notamment l’ombrage des éventuels
phénomènes allélopathiques.
4.1 L’ombrage n’est pas le facteur principal dans la suppression des
adventices
Il est connu que de nombreuses CI suppriment fortement les adventices pendant l’interculture, comme
par exemple le sarrasin (Fagopyrum esculentum Moench) (Creamer et Baldwin, 2000 ; Kumar et al.,
2009), la moutarde brune (Brassica juncea (L.) Czern.) (Björkman et al., 2015) et le radis fourrager
36
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41Les CIMS allélopathiques: un moyen de lutte contre les adventices
(Raphanus sativus var. longipinnatus L.H. Bailey) (Lawley et al., 2012). Nous avons pu le confirmer
dans des essais au champ pendant trois années de suite (Tableau 1). Le sarrasin supprimait des
adventices pour au moins 95%, la moutarde brune 91% et le radis fourrager 93% par rapport à un
témoin sol nu sans CI.
Tableau 1 : Suppression des adventices par le sarrasin (var Lileja), la moutarde brune (var Vitasso) et le radis
fourrager (var Structurator) entre 2013 et 2015 dans des essais au champ. La suppression est calculée par
rapport au témoin sol nu sans CI.
année
2013
2014
2015
moutarde
daikon
brune
Suppression des adventices (%)
100
100
95
91
93
100
98
sarrasin
De nombreuses études montrent qu’il y a une corrélation entre la biomasse des couverts et leurs effets
suppressifs sur les adventices (Finney et al., 2016 ; Lemessa et Wakjira, 2015 ; Wittwer et al., 2017).
Un développement juvénile rapide et une biomasse importante crée un ombrage aux adventices. Des
études suggèrent que la suppression des adventices est due à la réduction par les couverts de la
lumière solaire disponible (ombrage) (Brust et al., 2014 ; Uchino et al., 2011). Avec l’installation des
filets dans les CI nous avons étudié l’impact de l’ombrage sur la croissance des adventices. Ces filets
permettent d’écarter le matériel végétal et de fortement diminuer l’ombrage sur les adventices (Photo 1).
Photo 1 : Dispositif au champ
pour tester l’influence de
l’ombrage sur la croissance de
l’amarante .
Dans nos recherches nous avons choisi comme plante modèle, l’amarante (Amaranthus retroflexus),
une adventice typique des cultures d’été. Nous avons pu observer une forte suppression de l’amarante
sous les couverts à l’ombre : sarrasin (≥ 87%), moutarde brune (≥ 94%) et radis fourrager (≥ 94%)
(Tableau 2, ombrage fort).
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41
37A. Gfeller et J. Wirth
Tableau 2 : Suppression de la croissance de l’amarante par différents couverts entre 2013 et 2015 dans des
essais au champ. Les amarantes poussaient soit sous la CI (ombrage fort) soit entre deux filets qui écartaient les
feuilles (ombrage faible). La suppression est calculée par rapport au témoin sans CI (sol nu).
année sarrasin
ombrage
fort sarrasin
ombrage
faible
2013
2014
2015 100
87
99 94
89
99
moutard
brune
ombrage
fort moutarde
brune
ombrage
faible
100
94 97
88
daikon
ombrage
fort daikon
ombrage
faible
94
99 92
99
Si l’ombrage des couverts (= biomasse importante) est un facteur significatif dans la suppression de
l’amarante, la diminution de l’ombrage par les filets devraient augmenter sa croissance. Pourtant, dans
nos essais au champ, la suppression de l’amarante en faible ombrage entre les filets est presque
toujours la même que sous le couvert (Tableau 2, ombrage faible). Des petites différences peuvent être
observées pour le sarrasin en 2013 et la moutarde en 2014 ou l’adventice poussaient mieux avec plus
de lumière. Sur la base de nos résultats nous concluons que l’ombrage n’est pas le facteur principal de
la suppression de l’amarante par le sarrasin, la moutarde brune et le radis fourrager. D’autres facteurs
doivent donc être responsables pour les effets observés. Nous supposons que l’allélopathie joue un rôle
important (Gfeller et al., 2018).
Pourtant, dans la littérature scientifique il n’existe aucune preuve pour l’effet allélopathique de ces trois
CI. L’état actuel des connaissances sur le sarrasin est résumé dans une review (Falquet et al., 2015).
Les moutardes sont connues pour leurs effets de biofumigation après incorporation dans le sol. Ils
contiennent des glucosinolates qui sont hydrolysés par l’enzyme myrosinase pour former des
isothiocyanates qui peuvent être toxiques pour les adventices. Les glucosinolates s’accumulent dans
les tissus végétaux et sont également sécrétés par les racines (Schreiner et al., 2011). La moutarde
brune a été étudiée dans des essais aux États-Unis (Björkman et al., 2015). Ces études ont également
pu montrer que la suppression des adventices par la moutarde brune était indépendante de sa
biomasse aérienne. Ils concluent que ce résultat n’est pas attendu si la compétition pour la lumière et
l’eau sont les principaux mécanismes de suppression. Björkman et al. (2015) ont également étudié si
l’effet suppressif sur les adventices était plus fort avec les variétés de moutardes avec des teneurs
élevées de glucosinolates. Pourtant, aucune différence sur la suppression des adventices n’a pu être
montrée entre des variétés ayant des teneurs en glucosinolates variables. En ce qui concerne le radis
fourrager des hypothèses différentes existent. Dans une récente étude, Kunz et al. (2016) concluent
que la suppression des adventices par le radis fourrager en automne est due à des effets compétitifs et
allélopathiques. Cependant, les effets biochimiques/allélopatiques ont été étudiés avec des extraits
aqueux des parties aériennes et racinaires du radis fourrager cultivé en pot. Il n’a pas été testé si les
mêmes composés allélochimiques sont présents au champ en quantité suffisante pour avoir un effet
suppressif sur les adventices. Lawley et al. (2012) ont également étudié la suppression des adventices
pendant l’interculture en automne et concluent que le développement rapide du radis fourrager en
automne concurrence les adventices et est responsable de l’effet observé. Dans leur étude il ne trouve
pas d’indications d’effets allélopathiques.
4.2 Essais au phytotron
Dans nos essais au champ nous avons pu supprimer l’effet d’ombrage des couverts. Par contre, en
plus de la lumière la compétition pour les ressources comprend l’eau, les éléments nutritifs et l’espace.
Dans des conditions naturelles, il est difficile de garantir un apport en eau et en éléments nutritifs
38
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41Les CIMS allélopathiques: un moyen de lutte contre les adventices
suffisant et régulier. Nous avons donc mené des expériences en pot dans des conditions contrôlées en
phytotron. Dans un premier temps nous avons supprimé l’ombrage avec des filets et séparé les racines
des deux espèces par une barrière en plastique. Ainsi nous avons montré que la suppression de
l’amarante par le sarrasin est due à l’ombrage et à des interactions racinaires potentiellement
allélopathiques entre les deux espèces (Falquet et al., 2014). Actuellement, nous travaillons avec un
tissu (30 µm) qui nous permet d’étudier si les exsudats racinaires diffusent d’une plantes à l’autre. Ces
expériences en cours indiquent que la suppression de l’amarante par le sarrasin est (en grande partie)
due à des exsudats racinaires du sarrasin. Nous supposons que le même mécanisme joue un rôle
important au champ ce qui pourrait expliquer la suppression de l’amarante en absence d’ombrage, ce
qui reste à prouver.
4.3 Approche métabolomique
Nos recherches se concentrent sur le rôle des exsudats racinaires dans la manifestation d’un effet
allélopathique. Les racines sont une zone métaboliquement active qui joue un rôle essentiel dans les
interactions avec la rhizosphère et la principale voie par laquelle les allélochimiques atteignent le sol
environnant sont les exsudats racinaires (Massalha et al., 2017). Dans notre recherche, nous
considérons que, pour trouver de nouveaux phénomènes allélopathiques, la présence de compétiteurs,
dans notre cas les adventices, est nécessaire. En effet, toute stratégie de défense est coûteuse pour la
plante car elle nécessite des ressources qui pourraient être utilisées dans la croissance ou la
reproduction. Ainsi si le coût lié à la défense est inférieur au coût lié à la perte engendrée par la
présence des compétiteurs, la plante a intérêt de produire des composés allélopathiques. Suite à ces
hypothèses, nous cherchons à connaître la réponse d’une CI, le sarrasin, à la présence d’une
adventice. Est-ce qu’il y a une reconnaissance de la présence de l’adventice ? Est-ce que la
reconnaissance par le sarrasin induit la production et libération de molécules affectant la croissance et
le développement de l’adventice? Ceci a déjà été démontré chez le riz (Zhao et al., 2005) et le sorgho
(Dayan, 2006), car les allélochimiques étaient déjà connus et mesurables. Dans notre cas, il est difficile
d’isoler et d’identifier des allélochimiques dans le sol car c’est un environnement très complexe et riche
en composés très variés. Nous avons pris parti de nous éloigner de la réalité agronomique en utilisant
des modèles simplifiés. Le sarrasin est cultivé dans de l’agar ou du sable en présence ou absence de
l’adventice. Les composés intéressants sont ceux produits lorsque le sarrasin est en présence de
l’adventice. Le risque est que l’exsudation des racines soit différente dans ces conditions
« artificielles », toutefois la présence des molécules sera vérifiée ultérieurement dans la terre du champ.
Après avoir extrait les exsudats, la séparation des composés chimiques se fait par des techniques de
chromatographie couplée à la spectrométrie de masse (LC-MS). Cette technique ne permet d’identifier
la molécule que si celle-ci est déjà répertoriée dans les bases de données et donc connue, ce qui n’était
pas le cas pour les composés intéressants exsudés par le sarrasin. En effet, les études
métabolomiques sur le sarrasin ont été pour la plupart réalisées sur des farines de sarrasin avec des
objectifs différents des nôtres. Il nous faudra donc purifier les composés d’intérêts et les identifier par
résonance magnétique nucléaire (RMN), un travail long et laborieux. Des résultats préliminaires
montrent que les exsudats et le potentiel allélopathique du sarrasin sont différents s’il est en présence
de l’amarante.
Conclusions et perspectives
Nos contacts avec les agriculteurs et notre propre expérience nous ont montré que l’efficacité des CI
est parfois variable, il est nécessaire d’améliorer la fiabilité des CI. L’utilisation de cultivars respectant
les mêmes règles de sélection que les cultivars élaborés pour les cultures principales nous paraît un
élément important. Actuellement, l’allélopathie des cultures intermédiaires n’a pas été prouvée au
champ car nous ne connaissons pas les mécanismes impliqués. Plusieurs indices suggèrent que le
Innovations Agronomiques 62 (2017), 33-41
39A. Gfeller et J. Wirth
sarrasin supprime l’amarante via des exsudats racinaires allélopathiques. Nous travaillons à identifier
les composés allélopathiques impliqués chez le sarrasin. Cette approche sera ensuite élargie à d’autres
CI. Le but sera la mise en évidence des différences variétales au sein d’une CI pour le caractère
allélopathique et l’étude du potentiel d’amélioration lié à ce trait et son efficacité en champ.
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