Hommage de Lydie DENEUVILLE à Lucien Séguy


Lucien, ce GRAND HOMME, vient de disparaître en toute discrétion.
C’est sa vie entière qu’il a consacrée à une noble cause : produire, partout dans le monde, quels que soient les continents, les climats ou la qualité des terres, une production saine, de qualité et en quantité, tout en préservant l’environnement, et en régénérant les sols.
Lucien Séguy, Docteur en Agronomie, est certainement l’homme qui, sous tous les climats, a sillonné, foulé de ses propres pieds, le plus de parcelles agricoles au monde et ce record n’est certainement pas prêt d’être battu !
Scientifique du CIRAD, pédologue de l’Orstom, il estimait que tous les outils sont connus pour produire intensivement, à peu de frais, de la nourriture de qualité sur des sols à fertilité améliorée.
Je ne reviendrai pas sur toutes ses recherches et publications, en collaboration avec son équipier permanent, Serge Bouziniac, qui malheureusement, bien que financées en partie par la France, n’ont pas su être reprises par notre ministère de l’agriculture et autres instances agricoles et mises au profit de l’agriculture Française…
Quel gâchis !!! Quelle perte de temps et d’argent pour notre agriculture Française !!!
Et de cela, Lucien en a souffert.
Ce qui l’a le plus frustré, c’est d’être reconnu comme « UN PÈRE » dans son pays d’adoption « Le Brésil » qui l’a toujours honoré ainsi que d’autres pays, alors que la France, son propre pays, l’ignorant, n’a pas su tirer profit de l’immense travail qu’il a accompli. France, le pays du BLABLABLA disait-il !
Mais la meilleure reconnaissance pour lui, c’est celle de tous les amis qui l’ont compris.
J’insisterai sur l’homme de paix qu’il fut : ses avancées ont permis à différentes contrées de nourrir sa population et notamment au Brésil de procurer celle des Chinois, évitant ainsi bien des émeutes.
Ce fut un privilège pour moi de l’écouter une première fois en conférence à Baran lors d’un NLSD en 2001 : Un homme excité, survolté vous diront certains, dynamique et provocateur, imposant l’attention et interpellant chacun d’entre nous, pour nous obliger à réfléchir et nous remettre en cause.
Puis il est intervenu une seconde fois en 2005 au NLSD de Reignac-sur-Indre. Certains n’ont alors pas jugé bon de l’écouter, car c’était pour eux « du déjà vu (déjà entendu)».
Et bien NON, toujours et toujours, à mesure qu’on l’écoute, ce que beaucoup n’ont pas perçu, c’est que Lucien, l’intarissable a sans cesse quelque chose à nous apporter !
Au-delà de toutes ses connaissances sur le SCV, ses innombrables publications, que beaucoup sauront reprendre pour lui rendre hommage, je tiens à témoigner de la personne qu’il était :
Jamais je n’aurais imaginé un jour pouvoir aborder ce SAVANT. Et, lorsque je lui ai parlé la première fois, je fus saisie de constater à quel point il est SIMPLE, GÉNÉREUX et AVIDE de rencontres.
Mais tout d’abord, j’avoue qu’il m’a testée, savoir ce qu’il y a vraiment au fond de moi, car par expérience, il n’avait pas de temps à perdre avec des opportunistes.
Et effet, Lucien est PRESSÉ, pressé de communiquer et de divulguer, et pour lui, chaque seconde compte, autrement dit, pour celui qui cherche à le critiquer ou le contredire, c’est peine perdue. Mieux vaut qu’il passe son chemin à jamais !
Depuis, nous avons fait un long chemin ensemble. Il m’a présenté ses avancées au Brésil, fait rencontrer ses partenaires, entrer à l’Embrapa où il est accueilli comme un héros, visiter ses champs d’essais à Sinop, découvrir ses variétés de riz Sebota…
Lucien l’attentif savait d’un coup d’œil déceler les problèmes d’une parcelle, et en trouver les solutions rien qu’à observer les environs.
J’avoue alors être subjuguée de constater la rapidité avec laquelle il a traversé ses champs d’essais de riz pluvial, et a pu rendre compte de ses observations à son collaborateur Serge, pour une prise de note et de photos complémentaires !
Lucien, une encyclopédie ambulante qui connaissait une multitude de plantes même sous leur nom latin.
Il avait une connaissance, une mémoire incommensurable, relatant chronologiquement toutes ses expérimentations, découvertes, avec un enregistrement et une organisation de ses données sans faille.
Avec Lucien, tout est intensif, du matin lever 6h au soir 24h.
Il lui en arrivait même d’en oublier de déjeuner, mais en fait, c’était pour lui moins de perte de temps.
Pas de répit ni de tourisme… Et malgré tout, un détour sans prix pour nous faire découvrir un arbre à l’écorce exceptionnelle qu’il cite d’un nom latin, nous expliquant pourquoi il vivait ici et était le descriptif et le symbole du type de terre locale.
De plus, Lucien était comique et bon vivant et n’hésitait pas à lancer une vanne ou une histoire drôle.
Mais pour lui, le temps était précieux : pas question de divaguer à regarder voler un papillon pendant qu’il intervenait, ou de répondre au téléphone au risque de se le voir propulser à des dizaines de mètres de là.
Lucien, toi, homme INTÈGRE, malgré les sollicitations, tu as su tout au long de ta carrière, refuser le profit et ne pas succomber à la corruption.
Lucien, un grand homme, VRAI et SINCÈRE,
Tu nous as fait l’honneur de nous faire une petite place à tes côtés, nous, simples paysans de la Nièvre et tu as toujours su rester FIDÈLE.
Lucien EXIGEANT, PERFECTIONNISTE, tu nous as imposé RIGUEUR et PERSÉVÉRANCE, durant tous les essais et protocoles que tu nous as chargés de mettre en place… IMPATIENT d’en recevoir régulièrement des photos quand tu ne pouvais pas être sur place, mais toujours DISPONIBLE. Et ce n’est pas sans réprimandes ou quelquefois engueulades que tu en as fais le suivi… Ce qui a au fil du temps toujours payé.
Je garderai de toi, malgré ta grandeur, le souvenir d’un homme MODESTE et à la portée de tous, de la plus imposante société agricole brésilienne, au plus simple et pauvre paysan malgache ou cambodgien.
Au-delà de ça, j’ai découvert en toi un homme plein de talents, à savoir l’art de la peinture (qui a pu te valoir la place d’assistant d’un célèbre peintre), mais aussi connaisseur, en l’occurrence la gastronomie dont ta femme Jacqueline savait faire honneur en concoctant des plats d’excellence, mais aussi l’œnologie.
Et, pour avoir eu le privilège de découvrir ta cave secrète, je sais à quel point tu places une haute importance à la connaissance et à la préservation de la qualité de tes vins et l’honneur que tu attribues à chacun de ceux à qui tu les offres.
Ton DYNAMISME, ton ESPRIT, ta GÉNÉROSITÉ et ta BIENVEILLANCE nous manqueront.
Mais à travers toi, nous remercions ta femme Jacqueline, toujours discrète, fidèle (55 ans de mariage) et présente à tes côtés, et ton binôme Serge, chacun représentant une partie de toi, qui ont toujours su t’épauler et même te supporter.
Car oui, tu étais DUR, dur avec toi-même, car il te fallait toujours garder la forme, et dur aussi avec ton entourage avec lequel tu étais bien souvent EXIGEANT.
Ce fut en effet le sacrifice de toute une vie de famille (je pense notamment à ta fille Sandrine et ton fils Yannick) au profit de l’humanité, dont peu de monde prend conscience.
Lucien, toi qui croyais au « GÉNIE VÉGÉTAL », tu as su semer quelques graines (Hubert, Stéphane, Florent, Aubin, Noël, Christian, Jean-Claude, John, Loui, tes petits jeunes du Brésil (comme tu les appelais)…) qui assureront l’avenir de ton œuvre, avec encore tant de choses à accomplir…TA SYMPHONIE INACHEVÉE !
Les paysans du monde entier avaient encore tant besoin de toi !
Tu nous laisses aujourd’hui orphelins, avec à charge de poursuivre, vulgariser et divulguer tes connaissances, et nous nous devons de mettre en pratique ce que tu nous as toujours enseigné : « Le développement de l’agriculture n’existe vraiment que s’il est fait PAR, POUR, AVEC et CHEZ les agriculteurs ».
La mission nous incombe maintenant et ce sera tout en ton honneur que nous nous chargerons de la mettre en pratique.
« Tchao l’ami ! », comme tu avais l’habitude de dire ! Et après tant de dévouement pour le bien de l’humanité, repose en paix !
Que ton esprit nous accompagne dans l’évolution nécessaire de notre agriculture actuelle !
Je garderai à jamais le souvenir d’une amitié sincère.


Texte écrit par Lydie Deneuville (association NLSD) et lu lors de l’hommage à Lucien.

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